Déserts Médicaux, symptôme d’un mal bien plus grand

Ces dernières semaines ont été marquées par le vote de la loi Santé à l’Assemblée Nationale. A chaque mandature, son cortège de solutions en vue de réformer le système de santé français !

La problématique de la Santé en France, de façon légitime, soulève toujours beaucoup d’affect dans les débats. Après tout, le droit à la Santé n’est-il pas le plus essentiel pour chacun ? Indéniablement. Cette loi « Ma Santé 2022 »  présentée par le gouvernement a suscité beaucoup de questionnements.

Le point le plus épineux, celui qui a déchainé le plus les colères, les remontrances et les excès de tous bords fut celui des déserts médicaux encore appelées zones sous denses

Premièrement, par quoi se définit un désert médical ? Personne ne le sait ! Aucune définition claire n’a  encore été apportée à ce jour. Certains organismes comme la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES) considère une zone sous dense comme un territoire où l’accessibilité aux soins est inférieure à 2.5 consultations par an et par habitant. Le ministère de la Santé considère pour sa part qu’une densité de médecins inférieure de 30% à la moyenne nationale suffit à qualifier un territoire de désert médical quand l’UFC donne un seuil de 60%. En bref, comme souvent, chacun prend les critères qui conviennent à son projet où au but de sa démonstration mais au final, il y a une réalité intangible : des populations souffrent ! Des patients meurent dans nos campagnes ! Et il y en a encore pour 15 ans d’après les Agences Régionales de Santé.

Nous sommes tous des patients potentiels. L’humain est ainsi fait. Et force est de constater que la machine politico-technocratique a eu des errements, depuis 30 ans qui posent aujourd’hui problème. En effet, il semble important de rappeler que la situation actuelle n’est pas nouvelle, qu’elle est décrite dans ses moindres détails depuis plusieurs décennies maintenant. A l’origine de celle-ci, une erreur d’appréciation terrible !

A la fin des années 1990, les politiques d’alors ont étudié deux courbes, celle des dépenses de santé, croissantes, et celle du nombre de médecins, croissantes elles aussi. Le lien de causalité a semblé évident et ont suivi deux mesures qui allaient nous engager vers le précipice d’aujourd’hui.

D’abord, ils ont resserré de façon drastique et brutale le fameux numerus clausus. Pour exemple, quand j’ai passé le concours de médecine à la faculté de médecine de Rennes en 2008, nous étions 187 à être admis en 2e année.  En 1998, ils étaient 95 !

Ensuite, pour accélérer le processus de baisse du nombre de médecins, a été créé le Mécanisme d’Incitation à la Cessation d’Activité ou MICA . Celui ci consistait tout simplement à inciter financièrement les médecins à partir plus tôt en retraite.

Voilà pour les rappels historiques, indispensables à la compréhension actuelle du débat.

 

Aujourd’hui, le débat sur les déserts médicaux se concentre hélas souvent sur les jeunes médecins. Ces hordes « d’ingrats corporatistes » comme les ont qualifiés les députés LFI dans le préambule d’un amendement. En effet, il semble cohérent de voir dans la future génération le levier prometteur d’une médecine d’excellence accessible par tous. 

Ainsi, deux mesures principales ont été votées pour l’accès aux soins :

La première, médiatique s’il en est, est la suppression du numerus clausus, ce fameux quota d’entrants en 2e année de médecine. L’objectif affiché étant une augmentation de 20% des médecins formés.

Cela semble évident, l’ouverture d’une vanne apporte un afflux plus important. Cependant, cette révolution dans le milieu médical reste à nuancer. D’abord, la formation médicale d’excellence française est basée sur le compagnonnage avec un apprentissage des la 2e année au lit du malade. Comment assurer une formation de qualité quand un enseignant, un patient, un service verront arriver des groupes de 30 à 40 étudiants pour écouter tel souffle cardiaque ou apprendre à examiner un abdomen ?

Sans parler du confort dudit malade…

Par ailleurs, quel étudiant en médecine, quelque soit sa faculté de formation n’a pas assisté à un cours de deux heures, assis sur les escaliers de l’amphithéâtre faute de places assises ? Les infrastructures actuelles ne sont pas toujours en mesure d’accueillir plus d’étudiants sans rénovations importantes…à financer donc ! Ceci étant dit, le risque est donc que les universités fixent chaque année un numerus clausus qui ne dit pas son nom avec étrangement, toujours une proportion identique d’admis en deuxième année. Cachez ce concours que je ne saurais voir !

Ensuite, un article de la loi prévoit de permettre à des internes de prêter main forte à des médecins installés. Tantôt en zone touristique l’été, tantôt en zone sous dense. L’idée est à considérer à condition toutefois que ne soit pas occulté le côte formation de ces stages et que des internes ne se retrouvent pas en autonomie totale dans le simple but de panser des plaies béantes au risque de les dégouter de ces territoires.

D’autres articles de la loi incitent à rénover les modes d’exercice, apporter plus de confort aux médecins avec la création des assistants médicaux ou revoir la carte hospitalière de proximité. Mais alors ? Toujours pas de mesures coercitives à l’installation ? Toujours cette liberté d’installation ? Il serait pourtant si simple de les obliger à s’installer dans ces territoires pour régler le problème !

Les mesures incitatives n’ont en effet pas les effets escomptés, c’est indéniable, et ce malgré des sommes importantes mises sur la table pour attirer les jeunes médecins.

La volonté des jeunes générations de médecins de travailler en groupe et en réseau est réelle. L’image désuète du médecin exerçant seul, isolé avec sa secrétaire a vécu. L’importance des charges et le poids de la responsabilité médico-légale y sont probablement pour quelque chose mais c’est un autre débat. Quoiqu’il en soit, ces MSP (Maisons de Santé Pluridisciplinaires) en croissance sont souvent vides de ceux auxquels elles sont destinées.

Reste la coercition ! Quand la carotte ne fonctionne pas, reste le bâton !

En matière de coercition, comme en matière de taxes,  l’imagination est souvent féconde.

Imposer de s’installer 3 ans dans une zone sous-dense pour l’un, 5 ans pour l’autre, remboursement des études pour un troisième ou encore déconventionnement pour un dernier…

J’ai le regret de vous annoncer que toutes ces mesures seraient au mieux inefficaces  et au pire insultantes et contre-productives.

Rappelons à cette occasion qu’un interne fait économiser à l’Etat entre 80000 et 200000 euros par an et que l’idée de régulation de l’installation sur le modèle des pharmacies n’aurait aucun effet selon une étude de la DREES de 2017.

Pour ma part, j’ai décidé voilà deux ans de prendre un poste de médecin urgentiste dans un département qualifié de désert médical, deuxième département où l’accès aux soins est le plus difficile d’après l’ARS.  Je l’ai fait de mon plein gré et j’en suis ravi.

Cependant, je me dois de faire une confidence, je vis à 100 kilomètres de là où je travaille. Dans un autre département, en centre ville d’une métropole !

Pourquoi vous parler de cela ? Parce qu’il s’agit de la clé de voute de la problématique des déserts médicaux.

La société a changé, le monde du travail s’est féminisé, la médecine aussi pour son plus grand bien.  Là encore, l’image obsolète du médecin travaillant avec sa femme comme secrétaire est jaunie. L’endogamie professionnelle n’est plus la norme.  Les couples sont mixtes, d’horizons professionnels différents. C’est la vérité.

De plus, un médecin généraliste finit sa formation au plus tôt à 27 ans. Sauf à contester le droit à la vie privée avant le diplôme, il est fréquent que les couples soient installés, mariés voire parents à ces âges.  

Alors quand la thèse soutenue, un jeune praticien cherche à s’installer, il va forcément tenter de concilier sa vie familiale et sa vie professionnelle en optant pour un lieu de résidence où son/sa partenaire trouvera lui aussi une activité professionnelle. Le sacerdoce a disparu car c’est la marche du monde et de la société qui l’a voulu…quoiqu’on en dise.

Les déserts médicaux sont des fléaux. Mais le problème est bien plus global.

On estime à 0,5% de la population, la part de celle-ci qui cumule toutes les difficultés d’accès aux soins (médecin, pharmacie, hôpital). Les discours alarmistes pour justifier les attaques envers le corps médical sont donc à modérer.

Pour autant, certaines populations se sentent oubliées et commencent à exprimer leur souffrance et leurs craintes.

En France via le mouvement des gilets jaunes qui - bien qu’hétéroclite et nébuleux dans ses revendications - porte ce message.

Aux Etats-Unis avec l’élection d’un Président porté par la ruralité et les classes populaires, en opposition avec les « élites urbaines ».

En Grande Bretagne à travers ce Brexit interminable qui fissure les populations.

C’est ce sentiment d’oubli qu’il faut prendre en compte pour y apporter une réponse politique, économique, sociale de grande ampleur afin d’empêcher qu’une fracture se creuse. La santé est une donnée importante mais n’est que la fièvre qui révèle une infection plus grave. Faire baisser la fièvre ne suffira pas.

En conclusion, les fameux déserts médicaux qu’on traite depuis vingt ans comme des éruptions soudaines ne sont que le dramatique symptôme d’une maladie plus complexe, multidisciplinaire, ancrée depuis des décennies et qu’il serait temps de traiter comme telle avec courage et détermination.