[Compte-rendu] - Dîner-débat avec le Général Dominique TRINQUAND

 
 

Le Cercle Orion a eu le plaisir de recevoir le général Dominique Trinquand pour un dîner-débat consacré aux bouleversements géopolitiques actuels et aux responsabilités stratégiques de la France et de l’Europe. Fort d’une carrière remarquable au service des opérations extérieures françaises, de la diplomatie militaire et de la réflexion stratégique, le général Trinquand a partagé avec les membres du Cercle Orion une analyse lucide, sans concession, mais résolument constructive de la situation internationale.

Son propos, articulé autour des grandes lignes de fracture du monde contemporain, a mis en évidence les défis systémiques qui attendent les démocraties européennes, et les leviers dont elles disposent pour affirmer une puissance autonome, réaliste et responsable.

Le retour des empires : une recomposition brutale de l’ordre international

Le général Trinquand a débuté son intervention en posant un constat sans équivoque : nous vivons le retour d’un monde structuré par les rapports de force, les sphères d’influence et les ambitions impériales. La fin de la Guerre froide avait suscité l’espoir d’un ordre multilatéral fondé sur le droit, incarné notamment par les institutions onusiennes. Aujourd’hui, cet espoir se heurte à une réalité marquée par la montée des puissances autoritaires, le rejet du droit international par certains acteurs et l’affirmation brutale de nouvelles ambitions stratégiques.

La guerre en Ukraine constitue à ses yeux un tournant décisif : elle consacre le retour d’un projet impérial russe et rappelle, de manière tragique, la vulnérabilité stratégique de l’Europe lorsque celle-ci se repose trop exclusivement sur des garanties extérieures. Dans le même temps, l’incertitude plane sur l’engagement américain au sein de l’OTAN depuis le retour de Donald Trump à la présidence et fragilise la pertinence de l’alliance atlantique.

Face à ces défis, le général appelle de ses vœux un réarmement stratégique des Européens, qui passe par une prise de conscience partagée de leur rôle historique et géopolitique.

La souveraineté européenne à l’épreuve : coopération pragmatique plutôt qu’armée unique

Interrogé sur les perspectives d’une défense européenne intégrée, le général Trinquand a exprimé une position claire : il rejette l’idée d’une armée européenne centralisée, à ses yeux irréaliste tant politiquement que militairement. Il insiste en revanche sur l’impérieuse nécessité d’une coordination renforcée entre les armées nationales des États membres, condition indispensable pour atteindre un niveau de crédibilité opérationnelle à l’échelle du continent.

Cette coordination doit également inclure le Royaume-Uni, en dépit du Brexit. Le général insiste sur l’importance stratégique des Britanniques dans la construction d’un pilier européen de la sécurité collective, en rappelant leur expertise militaire, leur présence mondiale, et leur capacité à intervenir rapidement dans les zones de crise.

Enfin, il souligne que la Commission européenne n’est pas outillée pour répondre aux crises sécuritaires : ce sont les États, et eux seuls, qui détiennent la légitimité, les moyens et la responsabilité de l’action militaire.

Crise de Taiwan : le spectre d’un blocus stratégique

Au-delà du théâtre européen, le général a abordé le cas de Taiwan, l’un des points de tension majeurs dans les rapports sino-américains. Contrairement à certains analystes, il ne croit pas à un scénario d’invasion militaire par la Chine à court terme. En revanche, l’option d’un blocus maritime progressif reste, selon lui, une hypothèse plausible, susceptible de mettre à l’épreuve la volonté des puissances occidentales de défendre la liberté de navigation et l’ordre international.

Le véritable enjeu, selon lui, n’est pas géopolitique mais technologique : Taiwan est le cœur de la production mondiale de semi-conducteurs avancés, en particulier via l’entreprise TSMC. Cette dépendance massive expose l’ensemble des économies développées à un risque systémique, en cas de rupture de l’approvisionnement.

Dès lors, le général plaide pour une diversification rapide des chaînes de valeur technologiques, à l’image des efforts déjà entrepris par les États-Unis, et pour une politique industrielle européenne ambitieuse dans ce domaine stratégique.

Nouveaux partenariats : penser au-delà de la relation transatlantique

Conscient du caractère moins prévisible de l’engagement américain, le général Trinquand appelle à une diversification pragmatique des alliances européennes, notamment vers des puissances moyennes partageant des intérêts convergents. Il cite en exemple la capacité de la France à nouer, lors du Sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle à Paris en février dernier, des partenariats avec l’Inde, le Canada, les Émirats arabes unis.

Il en découle une vision renouvelée de la mondialisation : si l’ordre globalisé d’hier est en mutation profonde, il ne s’efface pas pour autant. Il s’agit désormais de penser un monde multipolaire, fait de coalitions thématiques, de partenariats ciblés et de projets d’intérêts communs, à la croisée des enjeux sécuritaires, climatiques et technologiques.

Renforcer la cohésion nationale : le rôle stratégique du Service National Universel

Sur le plan intérieur, le général a insisté sur l’importance du lien armée-nation dans une société fragmentée. Sans plaider pour un retour du service militaire obligatoire, il défend ardemment le Service National Universel (SNU), dans une optique de renforcement de la cohésion républicaine.

Le SNU représente pour lui un levier concret de transmission des valeurs, de mixité sociale et d’apprentissage du civisme. Il permettrait, s’il était généralisé et renforcé, de réarmer moralement une jeunesse en quête de repères et de redonner corps à un récit collectif fondé sur l’engagement.

Intégration, laïcité et résilience nationale

Enfin, le général a abordé avec clarté les défis de l’intégration dans une France confrontée à de forts flux migratoires, une baisse de la natalité, et une montée du communautarisme. Il considère la laïcité non pas comme un instrument d’exclusion, mais comme le socle d’un vivre-ensemble apaisé, garantissant à chacun la liberté de conscience tout en préservant l’unité du corps politique.

À ses yeux, réussir l’intégration est une priorité stratégique. Cela nécessite des moyens humains, financiers et institutionnels conséquents, mais aussi une fermeté républicaine assumée, capable de faire vivre les valeurs communes dans tous les territoires.

Conclusion : une France et une Europe lucide, confiante et résolue

En conclusion, le général Trinquand a livré un message à la fois d’alerte et d’espoir. Oui, les menaces sont sérieuses ; oui, les équilibres mondiaux vacillent. Mais l’histoire de la France et de l’Europe montrent que les crises peuvent être surmontées, parfois au prix de profondes transformations, pour peu que l’on fasse preuve de volonté, de lucidité et de courage.

La France, forte de ses institutions, de sa culture stratégique et de ses alliances, a la capacité de jouer un rôle moteur dans la recomposition du monde. Ce rôle, il convient de l’assumer sans naïveté mais avec un optimisme fondé sur les ressources profondes de notre civilisation.