[Compte-rendu] - Dîner-débat avec Gérard ARAUD

 
 

Le 22 octobre s’est tenu le dîner-débat du Cercle Orion consacré aux questions géopolitiques, en compagnie de Monsieur Gérard Araud, diplomate, ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis et représentant permanent de la France aux Etats-Unis. Cette discussion privilégiée a permis d’aborder les thématiques de la recomposition des puissances et du désordre du monde, en interrogeant la place de la l’Europe et de la diplomatie française sur la scène internationale.

Une Europe en perte de vitesse dans la recomposition mondiale des puissances

Depuis le début des années 2020, le monde connaît une profonde recomposition des rapports de force. L’attaque de la Russie contre l’Ukraine le 22 février 2022, l’attentat terroriste du 7 octobre 2023 perpétré par le Hamas contre Israël, ou encore la réélection de Donald Trump en novembre 2024 traduisent le retour à un ordre international dominé par des rapports de puissances. Nous sommes entrés dans une période de transition, marquée par la résurgence d'Empires prédateurs et la remise en cause du droit international et des institutions multilatérales.

Dans ce contexte, l'Europe peine, non seulement à trouver sa place mais aussi à faire entendre sa voix : inquiète par ses frontières avec la Russie, confrontée à la concurrence industrielle et technologique chinoise, et à l'instabilité politique américaine, elle apparaît fragilisée.

Le Vieux Continent sort de la plus longue période de paix qu'il est connu, et peine à comprendre qu'il est à nouveau vulnérable dans un environnement international redevenu conflictuel.

La crise interne du modèle libéral : montée des populismes et désenchantement démocratique

Cette fragilisation des relations internationales se double d'une crise interne au modèle démocratique libéral. La montée des populismes et des nationalismes bouleverse les équilibres politiques nationaux occidentaux et met en péril l'alliance transatlantique et le projet d'intégration européenne. Le populisme, en imposant une vision du monde fondée sur la défiance vers les élites, pèse directement sur les rapports de puissance internationaux : la politique intérieure influence la politique extérieure. Ce phénomène se manifeste à travers la remise en cause du multilatéralisme, le repli identitaire et le déclin du consensus libéral forgé après 1945. Les partis eurosceptiques, de plus en plus influents, fragilisent la cohésion de l'Union européenne et rendent de plus en plus difficile toute position commune sur des sujets stratégiques.

Les conséquences sont visibles dans plusieurs États européens ou des gouvernements populistes et eurosceptiques ont accédé au pouvoir remettant en question les principes de solidarité européenne et en particulier le soutien à l’Ukraine. À ce titre, le Brexit a constitué une véritable déflagration, révélant le rejet d’une Union européenne jugée technocratique et déconnectée des citoyens. Dans le même temps, la victoire de Donald Trump en 2016 a montré que cette vague populiste traversait aussi l’Atlantique, fragilisant la relation entre l’Europe et les États-Unis, notamment sur les questions de défense et de climat. Cette défiance s’enracine dans les effets sociaux de la mondialisation : désindustrialisation, creusement des inégalités, sentiment de déclassement et de perte de repères. Les classes populaires, qui se sentent oubliées des bénéfices de l’intégration économique, expriment leur colère dans les urnes, tandis que les partis traditionnels peinent à proposer une alternative crédible. Ce désenchantement démocratique, combiné à la polarisation des sociétés, affaiblit la capacité des démocraties libérales à agir de manière cohérente sur la scène internationale, et, pour l’Europe, à parler d’une seule voix.

Vers une Europe-puissance ? L’urgence de repenser l’autonomie stratégique

Face à ces défis extérieurs et intérieurs, l'Europe ne peut plus se contenter d'un rôle périphérique. Si l'Ukraine venait à tomber, c'est toute l'architecture de sécurité européenne qui s'effondrerait. L'urgence est donc, pour les Européens, de repenser l'autonomie stratégique du continent et de construire une véritable défense européenne, capable de protéger les intérêts communs sans défendre exclusivement du parapluie américain.

Au-delà de la défense, cette ambition implique de renforcer la souveraineté énergétique, industrielle et technologique de l'Union européenne afin de devenir un acteur de premier plan sur la scène mondiale.

L'idée d'Europe puissance suppose enfin une capacité à penser l'Europe par elle-même, à affirmer ses valeurs et son modèle face au bloc américain, chinois et russe, en mêlant réalisme et innovation. L'avenir du projet européen se joue dans cette réinvention.

Le propos de Monsieur Gérard Araud, constitue un apport important dans la réflexion sur les travaux de l’Axe Souveraineté et Puissance lancés par le Cercle Orion. Le prochain dîner-débat se tiendra le 19 novembre en compagnie de la journaliste et essayiste Laetitia Strauch-Bonard.