L'échec du socialisme - Par Christian BIGAUT

 

Par Christian BIGAUT, Docteur d'Etat en droit public, Docteur en Histoire, Inspecteur Général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche,  Ancien membre des cabinets ministériels (gouvernements Chirac, Balladur, Juppé , Raffarin, de Villepin).

Il revient pour le Cercle Orion sur son dernier ouvrage paru.

 

L’échec du socialisme. Pourquoi le socialisme ne marche pas. La malédiction du socialisme au pouvoir.

Le socialisme s’est édifié au XIXème siècle  avec la révolution industrielle qui crée un déplacement de paysans qui deviennent ouvriers dans les industries naissantes. Le socialisme vise à améliorer la condition ouvrière. Il se définit comme action de transformation de la lutte des classes, lutte de la classe ouvrière en action politique au service du progrès matériel et social. Il est historiquement lié à la société industrielle. Il reposait sur trois éléments : au niveau social, la lutte de la classe ouvrière qui visait à modifier les rapports dans l’organisation du travail, au niveau politique, l’action des partis socialistes visait à substituer à la propriété capitaliste des entreprises une intervention accrue de l’Etat dans la conduite de l’économie et enfin, au niveau idéologique, la croyance -d’inspiration scientiste- au progrès naturel des forces de production, lui-même lié à l’existence d’un sens de l’histoire depuis la révolution Bolchevick de 1917 en Russie.

Deux types de socialisme vont coexister : le socialisme « révolutionnaire » scientifique qualifié de communisme et le socialiste « démocratique ».

1 : le socialisme scientifique ne tiendra pas ses promesses d’avenir radieux et sera répudié par les « démocraties populaires » en 1989 puis par la « patrie du socialisme réel » en 1991.

Le socialisme scientifique qualifié de communisme s’implante en 1917 en Russie avec la création en 1926 du parti communiste d’Union Soviétique (PCUS) et grâce à la victoire en 1945 sur la nazisme s’étend aux pays de l’Europe de l’Est en raison de l’intervention des chars soviétiques permettant l’établissements de gouvernements fantoches au service de l’URSS qui seront transformés en satellites qui imiteront le système politique et économique du modèle soviétique puis sur de nombreux territoires décolonisés. Le communisme se prétendait porteur d’une «  forme scientifique » de socialisme, fondé sur une analyse du capitalisme et de son dépassement par la lutte des classes ainsi que sur l’abolition de la propriété privée en faveur de la propriété collective des moyens de production.  Des contestations furent écrasées par la force, en RDA en 1953 après la mort de Staline, en Hongrie en 1956 et sous Léonid Brejnev, l’écrasement du printemps de Prague en 1968 qui abrégeait l’expérience d’un « socialisme à visage humain »et enfin, les grandes grèves Polonaises de 1970, 1976-1980 ou la classe ouvrière se dresse contre le régime qui se réclamait de celle-ci. En six mois en 1989, sous la pression des peuples qui aspiraient à la liberté, l’espace dominé par l’URSS basculait et les peuples des démocraties populaires recouvraient leur pleine souveraineté et liberté, accompagnant leur souhait de rattraper le retard qui avait été croissant par rapport à l’occident dans les domaines social et économique et surtout dans les modes de vie.

A partir de l’élection le 11 mars 1985 de Mikhaïl Gorbatchev, secrétaire général du comité central du PCUS, il souhaite réformer le communisme, pour le rendre plus convenable, plus humain et surtout viable avec la politique de Perestroïka et de la Glasnost. La Perestroïka supprime le Goulag, les déficiences de l’économie socialiste frappée par des pénuries chroniques mais plusieurs échecs du communisme apparaissent : l’échec économique, en raison de l’économie planifiée dans l’agriculture et la production de biens de consommation, entrainant une pénurie généralisée, la production de médiocre qualité, matérialisée par les rebuts massifs, le vieillissement des équipements industriels et la faiblesse des innovations à l’exception du domaine militaire, la très faible productivité de la main d’œuvre faute de stimulants financiers, le développement de phénomènes de corruption, de marché noir et d’économie souterraine. Le communisme n’a pas réussi à s’assurer l’adhésion de la population qui par ailleurs avait pris connaissance des inégalités, entre une nomenklatura disposant de privilèges considérables, et le reste de la population, privée de liberté,  confrontée aux difficultés d’approvisionnement et à l’impossibilité de voyager.

2 : le socialisme démocratique malgré ses mutations  se heurte aux réalités économiques puis, surtout, à partir des années 2000 à la mondialisation.

Le socialisme démocratique « réformiste » s’implante au cours du XIX siècle avec les révolutions de 1848 sur le continent européen et l’apparition, entre 1870 et 1890, de nombreux partis socialistes qui seront au pouvoir dans les années 1920-1930  dans l’ensemble des pays européens notamment  dans l’Europe de Nord sous l’appellation de « social-démocratie » en rejetant le modèle marxiste et proclamant son attachement à l’économie de marché conjuguée à une intervention forte de l’Etat par une politique fiscale redistributive et des services publics nombreux. Il se convertit à la démocratie libérale et aux mécanismes du parlementarisme. Ces partis passent du parti du prolétariat à celui de parti populaire et démocratique étendu aux classes moyennes proposant des réformes visant une plus grande justice sociale. Aujourd’hui, face à la concurrence, ils sont qualifiés « d’Etat frugal ».

En France, le socialisme se scinde, lors du congrès de Tours de décembre 1920, entre les « révolutionnaires » et les « révisionnistes » qui évolueront vers le réformisme.

1 - Une dislocation politique interne rend, sous la III République, les socialistes   réformistes incapables de gouverner.

-Sous la III République, la  question de la participation gouvernementale divise les socialistes avec l’entrée au gouvernement, en 1899, du socialiste Alexandre Millerand, puis l’affrontement Guesdes-Jaurès au congrès du Globe en 1905 et enfin, l’entrée dans le gouvernement d'union nationale de 1914,puis le soutien sans participation au Cartel des Gauches 1924, et au Cartel renforcé 1932 qui entraina la scission des néo Socialistes adeptes d’un pouvoir fort, autour du triptyque « ordre, autorité, nation » et  pour finir, en raison de premier parti de France la SFIO lors des élections des 26 avril et 3 mai 1936, la direction du gouvernement de Front populaire le 4 juin 1936. L'échec de chacun de ces gouvernements se constate, avec ses causes (adoptions des budgets militaires sous l'"Union sacrée" lors de la première guerre mondiale, explosion de la dette en 1926 et 1934, les dévaluations du Franc) et d’autres raisons, pour arriver, à cause du pacifisme de nombreux parlementaires de la S.F.I.O - pourtant élus pour s'opposer à l’hitlérisme au pouvoir depuis 1933 en Allemagne-, à se diviser sur les questions relatives aux interventions en Espagne Franquiste et en Italie fasciste et sur l’approbation des accords de Munich en septembre 1938, au vote de la loi du 10 juillet 1940 des pleins pouvoirs au maréchal Pétain et pour conclure, la participation socialiste au gouvernement de l'Etat Français et au Conseil national de Vichy !

2-Les socialistes divisés victimes de la schizophrénie entre les discours et les actes sous la IV République.

-Sous la IV République, les socialistes -dont 83 de leurs parlementaires « collaborationnistes sont épurés en 1944- sont incontournables, participent aux travaux constitutionnels des deux assemblées constituantes successives. Guy Mollet, dès 1946 élu secrétaire général de la SFIO insiste sur la pureté doctrinale et engage le combat contre le ralliement des Partis socialistes à l’économie de marché (Suède, Allemagne) . La SFIO participe aux gouvernements des débuts du régime, de 1946 à 1951, éjecte les ministres communistes en 1947 par le président du conseil socialiste Paul Ramadier sous la présidence de la République du socialiste Vincent Auriol, soutient le gouvernement Mendès-France en 1954 et surtout dirige, celui issu du Front Républicain de Guy Mollet chef de la SFIO  en 1956. Si l’influence de la SFIO est réduite du fait de ses divisions qui s’afficheront, notamment, lors du rejet de la CED ne lui permet pas d’influer fortement sur la politique décidée. Le bilan du gouvernement socialiste, nonobstant quelques avancées sociales et la ratification du traité de Rome en 1957 sera entaché par le vote de la loi de pleins pouvoirs, les délégations de pouvoirs à l'armée, la couverture des actions illégales de cette dernière avec le détournement, le 22 octobre 1956, de l’avion de Ben Bella, l’expédition de Suez en novembre 1956... Les socialistes sont, depuis le coup de Prague en 1948, coincés entre les communistes qui ne sont « ni à droite, ni à gauche, mais à l’Est » et les gaullistes contestataires de la IV République. La SFIO de mai 1957 à mai 1958 refuse toute participation ministérielle pour se refaire "une virginité doctrinale". Enfin, après le 15 mai 1958 elle participe, à nouveau, au gouvernement Pflimlin, en s'opposant -officiellement- à l'arrivée de de Gaulle au pouvoir pendant que Guy Mollet, ministre et secrétaire général du parti, négocie officieusement avec de Gaulle, puis se rend à Colombey les deux Eglises, pour les postes ministériels futurs...

3-Les socialistes seront sous la V République successivement, partisans, opposants et enfin participants.

3-1) Partisans

-Sous la Ve République, les socialistes participent au gouvernement Debré et aux travaux constitutionnels. "La S.F.I.O sera la figure de proue de la V République" selon Guy Mollet, pour les élections législatives de 1958 qui ne seront pas un succès pour les socialistes. La mise en application des mesures de redressement économiques et financières conduisent à la démission des ministres socialistes et la question scolaire (loi Debré) du dernier d'entre-deux, André Boulloche  le 22 décembre 1959. Les socialistes ont du mal à comprendre les nouvelles institutions et vont s'opposer à de Gaulle progressivement à partir de 1960 avec le refus du général de réunir le Parlement en session extraordinaire, tout en soutenant les référendums de septembre 1961 et du 8 avril 1962 sur l’indépendance de l’Algérie.

3-2) Opposants

Les socialistes s’opposeront frontalement en 1962 -sur l'élection du Président de la République au suffrage universel direct- à 1969 sur le projet de loi régional soumis au référendum. De 1969 à 1971, les socialistes tergiversent quant aux alliances électorales... L'arrivée de François Mitterrand à la tête du parti socialiste, lors du congrès d’Epinay des 11-13  juin 1971, et sa conquête du pouvoir jusqu'au 10 mai 1981 permettront la rénovation du parti socialiste et l'extension de nouvelles sensibilités socialistes pour en faire le premier parti de gauche puis de France. Un programme commun de gouvernement du parti communiste et du parti socialiste est adopté en  1972 dont l'actualisation -demandée par les communistes devancés par les socialistes dans les élections locales- aboutit à une division des gauches le 14 septembre 1977 entraînant un nouvel échec aux élections législatives de mars 1978.

3-3) Participants : les socialistes au pouvoir

Trois pratiquants se succéderont :

Le premier Président socialiste de 1981 à 1995 : François Mitterrand.  La mise en œuvre du programme issu des 110 propositions de Créteil permise par la double victoire socialiste de mai et juin 1981.

François Mitterrand et le Premier ministre Pierre Mauroy mettront en œuvre « le socle du changement », les mesures sociales et étatistes du programme commun pour « changer la vie ».(mesures sociales, nationalisations, planification, décentralisation, accroissement massif de la fiscalité et des réglementations, les grands chantiers, une « nouvelle immigration », la relance par la consommation..). Mais dès juin 1982, les mesures de rigueur s’imposent, la dévaluation. Puis, la troisième dévaluation et la  conversion du 25 mars 1983 « la pause » : du socialisme à l'Europe avec une politique désormais opposée aux engagements de 1081 de François Mitterrand. Du socialisme dans un seul pays, on passe à l'intégration européenne, à la politique du Franc fort, à la politique de rigueur budgétaire et des compressions de dépenses publiques. Les plans de restructuration industrielle se succèdent ainsi que l’enterrement du grand service public laïc de l’éducation nationale tandis qu’apparaissent les affaires politico-financières entachant gravement la morale, la probité, la pureté doctrinale de « la gauche morale » et l’honnêteté dont le vote de lois d’amnistie ont effacé les turpitudes mais développé l’antiparlementarisme et l’antisocialisme.

La première cohabitation avec un rôle de "père de la Nation" sage et protecteur assurera la réélection du chef de l'Etat et un second mandat activement mis en œuvre en faveur de l'Europe, aux antipodes du socialisme engendrant frustrations et désillusions devant l’insignifiance des mesures de la « Lettre à tous les Français » ne proposant plus de nouveaux bouleversements. Furent institués l’ISF, la CSG pour financer le RMI. Une succession d'affaires entachent la morale et la pureté doctrinale socialistes dont certaines mettent directement en cause le chef de l'Etat ainsi que son proche entourage dont certains se suicidèrent.

La seconde cohabitation  de 1993 à 1995 fut sans confrontation importante. Le bilan du premier président socialiste affichait un quadruple reniement :  1/ constitutionnel avec des pratiques contestées mais appliquées depuis 1981 ; 2/ économique avec la mise en œuvre d’un libéralisme loin des engagements de 1981 ; 3/ en matière de politique étrangère avec le retour aux réalités et l’abandon du tiers-mondisme, la continuité de la « France Afrique », le renforcement de l’atlantisme et le soutien lointain aux mutations des anciennes démocraties populaires en 1989 et à l’implosion de la « patrie du socialisme » en 1991 ; et enfin, 4/ en matière de moralité avec la floraison d’affaires et de compromissions.

-Le deuxième pratiquant : le Premier ministre socialiste Lionel Jospin (1997-2002)

La troisième cohabitation résultant de la dissolution de 1997 décidée par Jacques Chirac, amène  le gouvernement Jospin de 1997 à 2002 à mettre en œuvre le "programme de la gauche plurielle", les 35 heures, la CMU, bénéficiant d'une conjoncture internationale porteuse qui n'empêchera la mise en œuvre du plus grand programme de privatisation mis en œuvre par les gouvernements et n’évitera pas l'éclatement de la gauche et l'échec du Premier ministre dès le premier tour de l'élection présidentielle notamment sur la question de l'insécurité. De 2002 à 2012 le parti socialiste est divisé nonobstant le perpétuel rapport de synthèse rédigé par son premier secrétaire François Hollande.

-Le troisième pratiquant : le Président de la République François Hollande et la liquidation du socialisme (2012-2017)

Le dernier socialiste au pouvoir appelé le "liquidateur" François Hollande, devait par des promesses économiquement et socialement intenables conduire le socialisme à une série ininterrompue d'échecs (le « choc fiscal » de 2012 contesté, conduit à des exils fiscaux médiatiques et amène souvent à des reculades gouvernementales et à un décrochage du chef de l’Etat, rejet de l’écotaxe, la contestation socialiste des réformes de l’éducation «  égalitaristes » qui relèguent la France dans les classements internationaux, sept réformes constitutionnelles sur sept qui n’aboutissent pas, la non inversion de la courbe du chômage, la non renégociation du traité Sarkozy-Merkel, et les réorientations politique , du CICE, de la loi réformant le code du travail, la déchéance de nationalité, les lois sur la sécurité dénoncées par les frondeurs, les déboires avec la valeur historique des socialiste, la laïcité, l’insécurité et l’immigration, au point de ne pouvoir défendre un bilan et se représenter à l'élection présidentielle de 2017. De 2012 à 2017 le parti socialiste a perdu toutes les élections. Enfin , la promesse d’une “République exemplaire” a été cruellement démentie par les nominations, les affaires tant personnelles qu’institutionnelles. Un désenchantement et un épuisement idéologique se constatent. Un "frondeur" devait représenter le parti socialiste et comme Lionel Jospin en 2002, ne pas être présent au deuxième tour de l'élection présidentielle de 2017.

L'ouvrage analyse "la malédiction du pouvoir" ou plus précisément la confrontation des promesses électorales et le difficile exercice de celui-ci à travers les trois Républiques, pourtant institutionnellement très différentes, dans la dévolution du pouvoir (scrutin majoritaire, scrutin proportionnel) et dans l'exercice du pouvoir (parlementariste, gouvernementaliste sous les cohabitations, présidentialiste avec la coïncidence des majorités parlementaires et présidentielles).

Le texte est accompagné des annexes (Lettres des socialistes de mai 1958 à 1961 à de Gaulle, lettre de Waldeck Rochet à Guy Mollet et réponse de celui-ci d'avril 1969, lettre du 12 décembre 1979 du président du groupe parlementaire socialiste, Gaston Defferre à Valery Giscard d'Estaing, lettre de 1984 de François Mitterrand aux sénateurs du groupe de l'Union des Républicains sur la liberté de l'enseignement, lettres de septembre 1983  Mitterrand-Chirac, Mauroy-Chirac, lettre du 13 février 1984 de François Mitterrand à Jean Marie Le Pen pour l'ouverture des antennes pour un droit d'expression et de représentation, lettres de Pierre Mauroy, de Pierre Bérégovoy, la lettre du  ministre des finances Pierre Bérégovoy du 6 septembre 1984 et la réponse du 4 décembre 1984 du Premier ministre, Laurent Fabius, accordant, contre l'avis de son ministre, la garantie de la Coface à un projet soutenu par un ami personnel du chef de l'Etat, lettre de François Mitterrand du 31 octobre 1993 à François Léotard, ministre d'Etat, Ministre de la défense, concernant un rapport....).

Différents tableaux illustrent les données économiques, sociales et budgétaires de tous les exécutifs socialistes ainsi que des extraits de rapports et audits de la Cour des comptes. Enfin, sous le mandat de François Hollande, différents tableaux et graphiques mettent en relief les engagements et leur(s) réalisation(s). Lettre de Pierre Moscovici commissaire européen , à Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics, sur le budget....) .