Éditorial - Écouter et recoudre : les défis du nouveau quinquennat

L’ambiance est festivement tendue aux Champs-de-Mars (Paris) en cette soirée de dimanche 24 avril 2022. Festive évidemment car Emmanuel MACRON est réélu président de la République, avec largesse (58.5%). Tendue, l’anxiété dévorante de voir la France basculer dans les mains de Marine LE PEN a cédé sa place à l’incertitude profonde des méandres des prochains jours politiques : crainte d’un 3e tour vindicatif, voire d’un quinquennat rude. 

                  Le moment actuel est tragique, au sens grec. Le pouvoir des hommes et femmes au cœur de l’arène politique pourra-t-il défier ce qui se présente sous les contours d’une fatalité cosmique : la décomposition de la démocratie sous le poids de la défiance populaire ? Sans compter les votes blancs et nuls, l’équivalent de la population des 30 plus grandes villes de France (environ 13 millions de personnes) ont choisi de ne pas exercer leur droit de vote ce week-end. Le phénomène n’est certes pas nouveau : les électeurs de gauche avaient largement boudé les urnes en 1969 face au duel “bonnet blanc, blanc bonnet” POMPIDOU/POHER. 

                  Toutefois, aujourd’hui, la France est plus fracturée et usée que jamais. Fractures sociales, fractures économiques, fractures territoriales, fractures générationnelles. Usure psychologique par des semaines et des mois de COVID, usure psychologique encore avec la crainte vicinale du retour de la guerre en Europe, usure politique face à des dirigeants qui croissamment rebutent. Le Figaro titrait très justement sa une de ce lundi 25 avril : “Grande victoire, grands défis”. 

                  Le mot d’ordre de ce futur quinquennat est l’écoute. Le peuple est usé, Emmanuel MACRON le sait, il s’agit de préserver la “dernière goupille” avant le risque de basculement politique vers des projets extrêmes. Les Erinyes du populisme planent sur la France. 

                  J’identifierai quatre défis que le Président de la République et le futur Gouvernement devront saisir, pour prouver qu’ils écoutent pleinement les Français. Les résultats des deux tours sont porteurs de messages qu’il convient de prendre en compte. Efficacement. Urgemment. Ensemble.  

                  Le premier défi est l’amélioration du pouvoir d’achat. Le Gouvernement sortant, statistiques officielles et indépendantes à l’appui, a amélioré le pouvoir d’achat, particulièrement grâce à la réduction nette du chômage en cinq ans. Mais, alors que la reprise économique post-pandémie puis la guerre en Ukraine ont généré une forte inflation tirée par l’insoutenable hausse des prix de l’énergie, ce bilan positif objectif n’est pas audible auprès des Français. Ce fut la puissance principale de la candidate du Rassemblement national de le saisir. Poursuite de la baisse de la pression fiscale, revalorisation d’un travail qui doit rémunérer dignement, soutien économique à la jeunesse et aux petites retraites, voilà des priorités essentielles des semaines à venir.   

                  Le deuxième défi est la planification écologique. L’urgence climatique, l’impératif de protéger nos écosystèmes, sont capitales. Le dernier volet du rapport du GIEC l’explicite clairement : nous avons peu de temps pour agir fort. Le chœur de la jeunesse a crié ostensiblement son appel à prendre la question écologique au cœur de l’action publique. Une planification nécessaire pour être à la hauteur des défis, pour aussi réconcilier chaque Français avec cette trajectoire, grâce à l’incitation et à la redistribution.

L’Etat tire sa légitimité de sa capacité de protection et de planification : le défi du XXIe siècle de protéger la planète et de planifier la transition de nos modes de vie doit être la pierre de touche de l’ambition des prochains gouvernements.  

Le troisième défi est la réponse à l’inquiétude sécuritaire et culturelle. Si l’amplitude du vote MELENCHON nous appelle à embrasser plus ardemment la question écologique, l’émergence d’Eric ZEMMOUR - mais aussi évidemment la progression en voix du vote LE PEN - nous oblige à entendre l’inquiétude que de nombreux Français ressentent quant à l’insécurité et à l’immigration. Le long écueil des gouvernements, surtout de gauche, a été de ne pas ouïr cette anxiété, la balayant du sceau d’indignité du “fascisme”. Il faut définir une politique ferme de juste application des lois de la République et une approche maîtrisée de l’immigration pour intégrer mieux celles et ceux que l’on est en capacité d’accueillir. 

                  Le quatrième défi est la réforme des institutions pour plus de participation. Plus que de donner leur voix, les Français veulent désormais donner de la voie, pour reprendre une expression du constitutionnaliste Dominique ROUSSEAU [1]. L’exigence d’une meilleure considération des Français oblige à une vie politique qui écoute mieux les Français sur le terrain, respecte mieux la pluralité de leurs opinions, donne plus d’opportunités institutionnelles pour intégrer leurs voix. Un travail transpartisan est nécessaire, le Président de la République l’a compris : il s’agit de permettre à la démocratie de persister au XXIe siècle.

                  Le Cercle Orion, et plus largement l’ensemble de l’écosystème Agora, poursuivra son engagement fort sur ces sujets que nous jugeons essentiels. Nous avons été notamment à l’avant-garde sur la question de la réconciliation entre participation et représentation institutionnelle [2]. Nous avons une volonté de renforcer de manière claire et ambitieuse notre ligne politique, notre méthode citoyenne et nos instruments d’analyse et de propositions, ce que nous mettrons en œuvre très prochainement. 

                  Réconcilier fin du mois et fin du monde. Redonner confiance aux Français dans l’action publique. Répondre aux anxiétés écologiques, économiques, sécuritaires, culturelles. Recoudre une France fracturée. Une droite sociale, une droite écologique, une droite libérale, une droite conservatrice, une droite gaulliste : tout cela doit être entendue pour proposer un projet fort pour notre pays. Pour “libérer et planifier”, avec “de l’ambition et de la bienveillance” pour citer le Président de la République. Plus que des mots, c’est désormais une nécessité vitale : le Cercle Orion prendra résolument toute sa part. En responsabilité totale, sans compromission aucune. 

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[1] Le Cercle Orion, AimPact et Agora ont eu le plaisir de recevoir notamment Dominique ROUSSEAU à l’occasion de notre colloque solennel sur la démocratie participative. 

[2] Vous pourrez lire notamment l’édito de l’entre-deux-tours : Aymeric DELON, 2022, “La France à la croisée des chemins : le sentier déterminé du Cercle Orion”.