Compte-rendu du colloque au Sénat sur l'innovation démocratique

Thème : Gouverner ensemble - Innover pour concilier représentation et participation

Co-présidence : Vincent DELAHAYE & Alexandre MANCNO

Intervenants : Patrick BERNASCONI, Bruno CAUTRÈS, Florent PARMENTIER, Dominique ROUSSEAU, Aymeric DELON

La démocratie représentative est en crise. L’abstention des électeurs lors des élections s’accentue de plus en plus. Aux élections législatives, près d’un français sur deux s’est abstenu de voter contre 1 sur 3 environ dans les années 90.

Ce manque de représentativité des élus affaiblit à terme nos institutions. Les causes de cette désaffection progressive des électeurs sont multiples. Mais il est indéniable que le phénomène s’est renforcé avec la non-reconnaissance du vote blanc, qui permettait de sanctionner un mandat sans pour autour choisir un candidat.

Face à cette insatisfaction des citoyens exprimée par l’abstention, la question se pose de savoir si les citoyens souhaitent un système plus participatif. Les élus s’interrogent et certains expérimentent le débat participatif à leur échelle (mairie, département). Cette dernière permettra-elle à terme un regain d’intérêt des Français pour le politique ?

A / Une évolution progressive du concept de la légitimité du pouvoir.

1 / De l’évolution d’une légitimité par la source vers une légitimité procédurale.

Au départ, le pouvoir est à l’origine pris par un homme fort. Ce dernier met en place un système, qui pour perdurer, va affirmer sa légitimité sur un droit. La nature de cette légitimité a évolué. Les dynasties ont appuyé leur pouvoir sur le principe du droit divin ou de tradition : le pouvoir leur a été donné par leurs Dieux et ils sont les garants de l’application du principe religieux. Les démocraties s’appuient sur le droit du citoyen, ce dernier ayant donné sa voix à des élus afin de parler en son nom.

Le pouvoir ne vient donc plus de Dieu mais du Peuple. Aujourd’hui, la légitimité du pouvoir donnée par le peuple n’est plus remise en question, mais ce sont les modalités de celle-ci et l’élaboration des lois qui sont questionnées. 

2 / L’aspiration à une participation accrue à la vie politique

Lors d’une étude menée aux Etats-Unis sur les aspirations démocratiques, deux tendances se dessinent : le concept de démocratie furtive et le concept de démocratie enchantée.

La démocratie furtive

Les citoyens veulent une gouvernance réduite et régalienne. Le citoyen peut vaquer librement à ses occupations. L’état assure les conditions de stabilité et de prospérité nécessaire à la vie du pays, sans être trop intrusif dans la vie du citoyen. Le gouvernement s’affirme par un pouvoir de décision fort en cas de situation de crise. Les citoyens donnent pleinement leur voix à leurs élus pour conduire le pays au travers de la crise. 

Cette tendance prend le dessus en cas de crise avérée. En cas de conflits majeurs ou de crises graves, les élus en place, faisant preuve d’une certaine habilité à conduire la crise en cours, sont le plus souvent reconduits dans leur fonction. Dès lors, la prise en main du pouvoir par un homme « fort » est même une aspiration qui s’affirme pleinement.

La démocratie enchantée

A l’inverse, une part des citoyens souhaitent un débat élargi avec une meilleure prise en compte de leurs aspirations. Dès lors, ils veulent pouvoir donner de la voix sur les projets de lois et leur mise en œuvre.

Le plus souvent, la démocratie participative est utilisée pour la mise en œuvre opérationnelle d’une loi. Par exemple, un maire peut consulter les habitants de sa circonscription sur le choix de l’implantation d’une éolienne, le vote se résumant au choix entre un lieu A ou un lieu B. Mais les habitants ne peuvent revenir sur le choix d’implanter de l’éolien. Certains auraient finalement préféré un choix en matière d’énergie ou que la question soit posée autrement. Dès lors, l’action participative au niveau opérationnel n’est pas jugée suffisante. Une aspiration à intervenir à un niveau national s’exprime.

3/ Furtive ou Enchantée ?

Il est clair que la démocratie va selon les sujets et les périodes faire appel aux deux tendances. Elles sont finalement complémentaires et doivent être déclinées selon les sujets et le contexte. On ne peut traiter de tout sur le mode participatif : les contraintes de temps, de coût et d’efficacité sont un frein. Mais certains projets nécessitent une élaboration plus transparente et moins en « chambre » afin d’aboutir à des choix plus en phase avec la société.

Si le citoyen donne sa voix aux élus, il se doit de rester vigilant sur l’usage fait de ce pouvoir. S’il se tait, il doit rester à l’écoute. En effet, il doit pouvoir donner l’alerte et veiller au respect de ses droits.

B / Comment permettre à la parole du citoyen d’émerger et contribuer à l’élaboration des lois ?

Le processus de loi comporte plusieurs étapes : La mise à l’ordre du jour, La rédaction du projet de loi, et enfin le vote du projet de loi. La participation des citoyens peut être mise en œuvre à chaque étape.

1/ L’initiative d’une loi.

En France, le premier ministre choisit et arbitre sur les projets à mettre à l’ordre du jour de l’assemblée.  Il est maître du calendrier.  Un premier niveau de participation est de permettre aux citoyens de bousculer cet ordre du jour et de porter à l’assemblée un nouveau projet ou une nouvelle version d’une loi. Le fait de mettre un projet à l’ordre du jour est en soi déjà une étape importante. 

Porter un projet à l’assemblée par la voix d’une pétition peut libérer les élus hésitant à proposer ces projets jugés trop « novateurs » ou trop « impopulaires ». Force est de constater, qu’une certaine auto-censure peut exister au sein de l’assemblée et au sein des partis politiques. La voix populaire pourrait ainsi bousculer le paysage.

2/ L’élaboration du projet

La rédaction du projet de loi nécessite indéniablement des expertises. Le débat public ne doit pas se substituer à la réflexion politique des élus, mais il contribue à faire émerger les irritants et la complexité du sujet.

Les élus exercent un mandat de délibérer. A ce mandat, l’élu pourrait aussi exercer un mandat de faire délibérer des assemblées de citoyens afin de réfléchir à une première version d’un projet de loi. A charge aux élus de l’affiner et de la finaliser en apportant leurs expertises respectives.

Les initiatives menées, comme la Convention citoyenne du climat, vont dans ce sens. Dans le cas de la « Convention citoyenne du climat », l’expérience va même plus loin puisque les propositions rédigées seront proposées sans filtre à votation. L’Irlande avait également mis en place une assemblée dédiée composée de citoyens et d’élus pour rédiger la proposition du projet de loi sur le mariage homosexuel.

3/ Le vote du projet de loi.

Le référendum est une option qui permet de statuer sur des sujets clivants et porteurs de valeur. Les sujets sont débattus sur la place publique et la ratification par référendum permet de neutraliser toute contestation. Le référendum implique l’existence d’un débat public en amont du vote, qui permet à la parole de s’exprimer. 

Pour les lois votées en assemblées, le fait de pouvoir critiquer et amender la loi peut être un choix à la porter du citoyen. C’est le cas de la confédération Suisse, où tout citoyen suisse peut déclencher un référendum pour abroger une loi. Il lui faudra alors recueillir 50 000 signatures. Il peut aussi proposer un texte, et ce seront alors 100 000 signatures qui seront nécessaires.

C / La participation n’est pas l’unique seule réponse à l’abstention.

Plusieurs expérimentations ont été menées avec l’objectif d’inciter les électeurs à participer aux votes. Ces expérimentations peuvent être présentées selon trois axes : 

1/ La participation comme axe pédagogique

L’instruction civique doit permettre à chacun de connaître des différentes instances de l’état et de comprendre leur rôle respectif. Elle reste cependant insuffisante. 

La connaissance peut être indéniablement renforcée par la mise en situation grâce au conseil municipal des enfants / conseil municipal des jeunes / Conseil des seniors ... Ces instances permettent d’expérimenter le débat pour la rédaction de propositions et leur adoption par un vote. Les participants à ces instances s’impliquent plus volontiers par la suite dans la vie publique que les autres.

2/ Il est nécessaire de moderniser et faciliter le vote.

La mise en place d’un vote électronique faciliterait le vote à distance. Une part des abstentions sont liées à l’incapacité de se rendre au bureau de vote pour diverses raisons : déplacement professionnel, problème de santé, manque de temps, non mise à jour lors d’un déménagement. 

La solution de la procuration n’est pas alors toujours utilisée. Cette démarche lourde requière de temps et nécessite un tiers de confiance.

3/ Le vote est un devoir du citoyen

La question de rendre le vote obligatoire serait une option simple et efficace. Cependant, sa mise en œuvre est par essence contraire au concept de démocratie et au principe du libre exercice du citoyen. De plus, toute « obligation » amène la notion de « sanction ». La sanction (amende) et la gestion des exceptions (maladie, déplacement professionnel, …) impliquent la mise en place de procédures lourdes.

D’autre part, on ne peut obliger à voter pour quelqu’un. Un vote obligatoire appellerait la reconnaissance du vote blanc et la prise en compte du refus de choisir l’un des candidats en place. 

 

Conclusion

Les initiatives d’élaboration de loi sur un mode participatif se multiplient et permettent de tirer les enseignements de ces expériences. La transparence des débats est un des leviers essentiels. Cependant, l’écoute et la disponibilité des citoyens est un des freins au développement de la démocratie participative. Si un citoyen peut dédier du temps à une initiative ponctuelle le temps d’une convention, il lui sera difficile de s’impliquer systématiquement et dans la durée.  

L’étape naturelle de la participation du citoyen à la vie démocratique au-delà de l’élection, est donc de s’engager comme représentant pour un temps, et de franchir le pas de la démocratie représentative. Finalement, la démocratie participative (cité d’Athènes) a donné naissance à la démocratie représentative pour des questions d’échelle.  Un retour à l’expérience participative permettra de refonder les bases d’une démocratie représentative.

 

Bibliographies

Le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) analyse les grands courants et idées politiques qui façonnent les forces et les institutions politiques, ainsi que les facteurs qui contribuent à orienter les comportements et les attitudes politiques de nos concitoyens.

https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/presentation-du-cevipof.html#

Le rapport de Bruno Cautrès : « Démocratie furtive ou démocratie enchantée ? »

https://spire.sciencespo.fr/notice/2441/j1bg84jla8cuaasor1bm52aom

La convention citoyenne pour le climat

https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/

L’exemple Irlandais 

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9f%C3%A9rendum_irlandais_sur_le_mariage_homosexuel