Éditorial - Pour l’école, que faut-il faire ? “Ce n’est pas une réforme, sire, c’est une révolution”.

            L’éducation est la première, et puis-je dire la plus belle, mission de l’Etat. C’est par l’école et ses “hussards noirs de la République” selon la chevaleresque métaphore de Péguy, que la France républicaine s’est construite, que la souveraineté nationale s’est insufflée. Ainsi, au lendemain de la défaite de 1870, la révolution pédagogique dérivant des lois Ferry (1881-82) a permis de fabriquer des Français, à l’aune notamment des manuels d’Ernest Lavisse ou des cartes de Paul Vidal de la Blache.  

            Or, l’école française connaît des contre-performances accablantes. Accablantes pour l’émancipation individuelle, accablantes pour l’égalité des chances, accablantes pour la cohésion républicaine. Ainsi, pouvons-nous ardemment regretter que : 

            -  environ 1 jeune sur 5 rentre en 6e sans savoir correctement lire, écrire et compter 

            - la France est le pays de l’OCDE dans lequel les performances scolaires des enfants est le plus surdéterminé par la catégorie socio-professionnelles des parents

            - chaque année, environ 150 000 jeunes des milieux les moins dotés en capital matériel et immatériel décroche du système scolaire, sans études, formation et emploi (ce qu’on appelle les NEETs)

            - dans certains établissements, il est devenu par exemple impossible d’enseigner la Shoah

            - de même, les professeurs sont de plus en plus soumis à des violences verbales voire physiques

L’école française n’est donc plus ce temple du savoir, dans lequel en son sein la mobilité sociale, l’éveil à l’esprit critique et aux valeurs républicaines est bien moins possible et où les enseignements tout comme les enseignants ne sont libres et en sécurité. 

            Pour retrouver une éducation qui forge des Français aspirant à l’émancipation sociale, à la curiosité intellectuelle, aux multiples intelligences, à la réalisation d’un rêve professionnel et à la cohésion nationale, une véritable révolution (rien que cela, me direz-vous) est à envisager. Une révolution qui recentre l’école autour de trois figures - l’élève, l’enseignant et le directeur d’établissement - et autour de trois grands principes directeurs - la liberté des destins, l’égalité des chances, la fraternité dans le respect (et notamment de l’autorité).

            Débutons par l’élève, qu’il convient étymologiquement bien d’élever par l’instruction publique. 

            Le système actuel est liberticide et surtout nocif à l’enfant et à la France : il est inspiré par des politiques “parigots” qui ne jurent que par les études “intellectuelles” et qui méprisent l’artisanat, le contact et la terre, pour qui toutes personnes devraient faire un master de philosophie, de mathématiques ou d’histoire (avec un profond respect pour ces cursus, là n’est pas la question, mais nous ne pouvons qu’admirer le triste résultat : inadéquation des compétences à l’offre d’emploi et multiplication des volontés de changements de vie radicaux, autrement dit des années d’épanouissement gâchées par une école uniformisante). Or, chaque élève a ses aspirations, a ses appétences : ce n’est pas au prix de l’égalitarisme, qui accroît de surcroît in fine les inégalités sociales, que des jeunes qui aspirent tôt à des parcours de formation différents doivent être forcés à suivre un cursus qu’ils refusent. En ce sens, la fin du collège et du lycée uniques doivent être étudiés, pour restaurer l’égalité dans le mérite et la reconnaissance des métiers si pédantement et faussement qualifiés de “manuels” par rapport aux filières et professions  dites “intellectuelles”. 

            Toutefois, gare à tout vouloir concéder à l’enfant : les pédopsychiatres sont déjà suffisamment entraînés dans les chaînons du ministère de l’Education nationale, pour professer que l’élève ne devrait subir aucune contrainte, aucune évaluation, aucune punition. L’élève reçoit l’enseignement. Il s’astreint (parfois) à l’enrichir par ses questionnements, mais il le reçoit, et doit le respecter. Tout comme l’institution : en ce sens, l’ordre doit être pleinement (mais bien entendu proportionnellement) maintenu dans les classes. Une mesure d’égalité et de respect est alors l’obligation du port de l’uniforme : on gomme l’effet des marques, pécuniairement discriminante, et on évite des tenues qu’il ne conviendrait de porter à l’école (“crops tops” et autres accoutrements peu couverts et neutres…). 

            Ensuite, vient le professeur, celle ou celui qui transmet le savoir et façonne, si je puis dire, la chaîne des temps et des espoirs de France. 

            Les atteintes verbales et physiques en son endroit sont inacceptables. Mais, plus généralement et souvent moins violemment, c‘est son autorité qui doit être établie. Devant les élèves, cela va sans dire, mais aussi contre les parents d’élèves. L’administration scolaire a plié progressivement mais sûrement devant eux. Les parents, dont les élèves ne seraient pour d’aucuns que le sublime égotique reflet, ne pourraient souffrir de mauvaises notes voire, pire, le redoublement (qui, par ailleurs, selon une logique au combien néfaste, coûte trop cher). Or, chaque enfant évolue à son rythme, apprend à sa cadence, et il n’y a pas de honte.

  Des parents lucides le savent bien. Ainsi, avec la complicité d’une administration qui malheureusement raisonne de plus en plus par des statistiques (tant d’élèves doivent avoir le bac, au détriment de la valeur de l’examen) et des bilans comptables, les professeurs n’ont plus le maître mot sur les redoublements ou les orientations : le désir parental fait foi. Certains parents d’élèves considèrent maintenant trop souvent les rencontres avec les professeurs comme des rendez-vous de “services après-vente”.

La liberté pédagogique est essentielle car, au risque de psittacismes, l’école est un temple du savoir, au sein duquel les enseignants doivent être sûrs de leur protection intellectuelle (mais aussi de leur intégrité : le “pas de vague” doit cesser!). Sur ce point, permettez-moi d’en venir aux sujets des équilibres et des programmes scolaires. On ne peut tolérer les statistiques désolantes des difficultés dans les savoirs fondamentaux (“lire, écrire, compter, respecter autrui” selon la formule de Jean-Michel Blanquer) à leur passage en 6e. Il convient donc, d’une part, de centrer les deux tiers du temps d’enseignement en primaire sur ces points et, d’autre part, de rendre possible la mise en place de classes de niveau pour permettre le rattrapage en cas de difficultés ; sinon, ce sont des séquelles sociales et professionnelles qui ne vont cesser de s’amplifier, au détriment de l’épanouissement social futur de l’enfant. En outre, quand on lit avec attention les programmes dans le secondaire en histoire-géographie, force est de constater le fil décousu des linéaments du passé. L’aspiration à une histoire mondiale a sa pertinence, mais réservons là aux études supérieures en histoire. Concentrons nous sur la France, avec évidemment - car c’est historiquement indubitable - ses liens avec les pays d’Europe et de la Méditerranée (voire au-delà). Et s’il est majeur de parler des pages sombres de l’histoire de notre pays, pour éviter premièrement de les reproduire, ne transformons pas toutefois les manuels en recueils militants de culpabilisation nationale. Comme l’écrivit l’historien Jean-Christian Petitfils, “il est important […] de transmettre de génération en génération l’amour vrai, profond et sincère, mais raisonné, de son pays”.

            La revalorisation des professeurs doit ainsi avant tout être symbolique : plus respecté, dans leurs missions et dans leur classe. Mais, alors que les enseignants français sont bien moins payés que dans la moyenne des Etats comparables et qu’ainsi l’attractivité des concours et carrières est fragilisée, il convient également de revaloriser le traitement net des enseignants, tout en ne faisant l’économie d’une réflexion sur une meilleure définition de leur temps de travail. 

            Enfin, évoquons celles et ceux qui sont le moins mis en lumière : les directeurs d'établissement scolaire, les chefs d’orchestre des équipes pédagogique et administrative.

            Il est majeur d’expérimenter la possibilité, en priorité dans certains territoires dont notamment les quartiers de la politique de la ville (QPV), d’une gestion plus adaptée des politiques pédagogiques. Le Président de la République a en ce sens proposé une initiative qu’il convient de pleinement exploiter et de décliner plus largement au sein de la France : la possibilité de choisir des enseignants volontaires et expérimentés autour de projets pédagogiques novateurs. En ce sens, Valérie Pécresse propose d’élaborer des établissements publics sous contrat, une novation pertinente, à porter à terme à hauteur de 20% du volume des écoles, collèges et lycées publics. De manière générale, dans l’évaluation et les relations avec les enseignants ainsi que dans le suivi des élèves et de leur comportement, l’Etat doit donner plus de marques de confiance aux directeurs d’établissements de ce pays.

            En définitive, la révolution de l’enseignement nécessitera des moyens (extension des classes dédoublées, formation de dispositifs de soutien aux jeunes décrocheurs et de classes-modules de niveaux, revalorisation des enseignants…) mais implique surtout une nouvelle façon de penser, centré sur des principes simples (liberté des destins, égalité des chances, fraternité dans le respect — mais aussi discipline, esprit critique) autour de trois acteurs clés : l’élève, l’enseignant et le directeur d’établissement. Amoindrissons les pressions des parents d’élève, et impliquons les dans une coordination plus vertueuse et respectueuse des aspirations et besoins des enfants, sans concession quant aux prérogatives et au respect de l’enseignant.

            En ce sens, vu l’importance cruciale de la politique de l’éducation qui semble - fort heureusement -  s’imposer comme un thème majeur de la campagne présidentielle de 2022, il faut défendre un projet de rupture. Mais non une énième rupture disruptive, un retour simple aux fondamentaux. Ne pas répliquer le passé (certains s’y essaient, c’est pragmatiquement idiot…), mais s’en inspirer en l’appliquant, voire le densifiant, avec la donne du présent. Néanmoins, doit-on légitimement craindre l’inertie du “mammouth” selon le pinçant mot de Claude Allègre ? A titre personnel, je pense qu’une telle réforme, si importante dans son ampleur et si cruciale pour l’avenir de ses enfants, petits-enfants et donc de la France, ne peut se réaliser prestement et efficacement que par la voie référendaire. Impliquons-nous tous intelligemment pour penser l’éducation de demain, c’est en tout cas une priorité forte au Cercle Orion !