Quels enjeux industriels français et européens post Covid ?
La crise sanitaire a déclenché de profondes perturbations dans le tissu économique tant au niveau mondial qu’européen. Cette récession présente un bilan fortement mitigé par secteur d’activité, et aussi au sein du même secteur. Dans l’ensemble, la restauration et l’hébergement par exemple comptent parmi les segments les plus touchés des services marchands, contrairement aux secteurs de l’information et de la communication qui progressent. Par ailleurs, si le secteur agricole s’est montré résistant, l’industrie est impactée de manière très inégale. En France notamment, la production manufacturière, qui a connu son plus bas d’environ -28% en mai 2020 (moyenne trimestrielle, selon l’INSEE), a rebondi de 3,3% en janvier 2021 par rapport au mois précédent. Cette dynamique est plus marquée dans les secteurs de la chimie, la pharmacie, et les équipements électriques, vers des niveaux comparables à ceux avant la crise. En effet, les carnets de commandes et le taux d’utilisation des capacités progressent, notamment du fait de la reprise du commerce international. En dépit de ces signes encourageants, plusieurs secteurs continuent d’être profondément impactés, dont principalement l’aéronautique, l’automobile et la sidérurgie. L’ampleur de la crise Covid-19 et son étendue jusqu’à présent indéfinie dans le temps remettent en question les piliers du tissu industriel qui a montré depuis le début de la crise diverses fragilités. Ceci exige une transformation du modèle industriel actuel de façon à tenir compte des enjeux clés auxquels se confronte l’industrie française aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.
Enjeu de compétitivité
Trois dimensions phares de l’industrie déterminent le sillage de la compétitivité des acteurs industriels dans le contexte du « nouveau normal » post Covid-19.
Premièrement, la chaine d’approvisionnement de l’industrie est l’un des principaux aspects à être profondément secoués du fait de la dépendance marquée d’un certain nombre de segments industriels français vis-à-vis de fournisseurs étrangers. Le coup d’arrêt brutal de l’activité succédant à la pandémie souligne cette vulnérabilité, qui interpelle la capacité à produire, la qualité du produit, et le coût de la production.
Deuxièmement, l’appareil productif français est sous-équipé en robots par rapport à ses concurrents, avec environ 154 robots pour 10 000 employés, ce qui constitue 2 fois moins qu’en Allemagne et 5 fois moins qu’en Corée. Par conséquent, il devient plus urgent d’accélérer le passage vers l’industrie 4.0, en modernisant les équipements. De ce fait, le plan France Relance dédie 900 millions d’euros pour aider les PME et ETI, notamment afin de subventionner leurs investissements en équipements plus modernes. 30% d’amélioration de la compétitivité française pourrait en découler.
Troisièmement, le capital humain a subi de rapides changements depuis le début de la pandémie, allant du travail distancié au chômage (total ou partiel). Avant la crise sanitaire, la substitution de la mobilité physique par les flux numériques faisait partie de l’industrie du « futur ». Le coup d’arrêt brutal porté à l’activité économique a fait du télétravail un impératif. Les effets de ce dernier sont toutefois ambivalents : améliorer la productivité du capital humain en facilitant l’adaptation aux tâches, ou détériorer la productivité du capital humain en se focalisant sur les « économies de mètres carrés ».
Dans l’ensemble, la capacité de piloter les équipes à distance a été affirmée pendant les confinements. La nature instable post Covid-19 requiert d’outiller les segments industriels – dont l’activité le permet – de schémas organisationnels flexibles et d’outils de production modernisés faisant massivement place au télétravailleur plus productif.
Enjeu de souveraineté industrielle
La première fermeture des frontières en mars 2020 a démontré le manque de souveraineté industrielle de l’hexagone. A titre d’exemple, la production des composants électroniques est depuis longtemps « dépriorisée » en France à cause de sa faible valeur ajoutée. Concernant des composants de base indispensables aux systèmes électroniques, la France, tout comme l’Europe, peut dépendre jusqu’à 99 % de fabricants asiatiques et américains. Le plan de relance par conséquent vise à favoriser la relocalisation en France, particulièrement pour 5 secteurs stratégiques : l’agroalimentaire, la santé, l’électronique, les intrants essentiels de l’industrie (matières première, matériaux, etc.) et les applications industrielles de la 5G.
Ces secteurs représentent chacun des enjeux majeurs de souveraineté pour la France. L’efficacité de cette approche privilégiée du gouvernement d’apporter des aides à ces 5 secteurs pourra être évaluée une fois suffisamment de projets retenus est concrétisé. Toutefois, cette mesure au niveau français a besoin d’être complétée par une approche industrielle européenne. Compte tenu de la multitude et la complexité des segments industriels fragilisés, l’on peut envisager l’émergence d’acteurs européens de haut niveau à même d’assurer un flux d’approvisionnement à la fois continu et adapté au rythme des pays membres. La question de souveraineté industrielle nécessite donc d’arbitrer le degré de relocalisation utile sans pour autant se prêter au protectionnisme dont le coût touche fortement le commerce international à terme.
Enjeu de durabilité
La gestion des ressources est cruciale pour construire un modèle industriel résilient post Covid-19. La pandémie a rappelé que l’on ne peut plus se contenter d’efforts discontinus ou ponctuels pour le passage vers un tissu industriel durable. En réponse à cet enjeu, l’économie circulaire permet, entre autres, d’améliorer la productivité des actifs, de réduire les déchets, de rendre plus efficiente la chaine de production des biens, et d’élargir le champ des ressources utiles à la production. Il s’agit d’un modèle qui ambitionne de mobiliser les ressources de la manière la plus optimale possible, dans la perspective de maintenir les coûts au minimum sans compromettre le niveau de qualité. Conséquemment, la durée de vie des actifs est prolongée, en parallèle d’un degré d’innovation poussé, ce qui libère davantage de ressources disponibles à d’autres usages.