Éditorial - Destin brisée, embrouillaminis et grands ratés : une campagne en marche
« J’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle ». C’est en ces mots, il y a cinq ans presque jour pour jour que François Hollande renonce à être candidat à sa succession...A quoi pense-t-il lorsqu'il se rend, à pied, enregistrer cette déclaration ? Peut-être à la petite fronde de son propre partie contre sa politique. Beaucoup estiment aujourd’hui que c’est ce manque d’unité qui lui a fait prendre cette décision. Avait-il déjà prédit, à la manière d’un Dominique Strauss-Kahn, la mort de Solférino ?
Cinq ans plus tard, mêmes personnages, même constat. A quelques mois de la présidentielle, le paysage de la gauche est celui de la désolation. La défaite annoncée ne changera rien à la multiplication des candidatures, alors que la confusion politique et idéologique qui règne dans ses rangs exclut toute idée d'union crédible. Certes « l’union est un combat », comme aimait à dire Georges Marchais. Mais y croient-ils encore vraiment, à l’heure ou guerres de chapelle et des égos semblent brouiller toute vision politique ? Dernier lueur d’espoir pour enfin se détacher de la logique mortifère : le conclave à huis-clos de la social-écologie. Mais dans cette grande ambition portée par Hidalgo, Jadot et tant d’autres, manque à l’appel le Grand Insoumis. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Lamartine ne s’y trompait pas, et la vieille force de gauche finit de donner le coup de grâce à l’Union, illusion d’un ralliement, en décidant de faire cavalier seul.
Face aux divisions de ceux qui les représentaient dans les années 80, les classes populaires et ouvrières désertent leurs porte-voix pour les contrées lepennistes…minées par un début de campagne sans apparente stratégie, fut-elle politique ou de communication. S’accrochant péniblement à des sondages en berne, la candidate du Rassemblement National tente péniblement de reprendre la main face à Eric Zemmour, qui la concurrence dans la course aux ralliements et aux parrainages.
Eric Zemmour, véritable phénomène politique, qui annonce ce dimanche 5 décembre le lancement d’un nouveau parti. Il sera baptisé « Reconquête » et complètera le slogan de campagne déjà dévoilé ce week-end : « Impossible n'est pas français ». Sommes-nous donc désormais condamnés à la résignation, nous si intelligents, si perspicaces, si modernes ? C’est la question qu’il pose en réalité, et qu’il est difficile d’ignorer. Judicieuse stratégie quand on sait qu’une partie de l’électorat français reproche précisément à ses représentants une véritable volonté politique de transformation. C’est ce que nous pouvons présenter comme l’expérience du délitement et c’est précisément ce sur quoi le nouveau candidat pointe le doigt. Il dénote ansi avec les adeptes de la politique de l’autruche, ce qui , au moins passagèrement, soulage les angoisses…Zemmour propose un imaginaire aux Français. Et force est de constater que sur ce terrain-là, la concurrence se fait désirer. Yanick Jadot refuse de s'en inspirer en estimant que « la France n'est pas un musée ». S’inscrire dans l’avenir, n’est-ce pourtant pas d’abord s’appuyer sur l’histoire ?
D’aucuns iraient jusqu’à dire que Zemmour pourrait concurrencer Emmanuel Macron. Et la nouvelle candidate LR dans tout cela ? Elle navigue entre les deux, espérant que cet « en même temps » la servira et lui permettra de recréer un espace suffisamment grand pour envisager l’Elysée. Par son profil, Valérie Pécresse pourrait tenir ce grand écart, et rebattre les cartes d’une partie que l’on croyait jouer d’avance. Mais a-t-elle les épaules pour ressusciter la droite quand on sait que dans le camp LR aussi, tous ne vont pas dans son sens ? Elle aura en tous cas surpris par sa ténacité lors du Congrès de la droite. Tragi-comédie divertissante pour nous autres, cruelle d’ironie pour ses participants.
Quid d’Emmanuel Macron ? Bombardé à gauche comme à droite, il est toujours plus Président en fonction qu’en campagne. Le pari de la sélection naturelle ?