La question afghane : une occasion de repenser l’asile

L’intensification des mouvements migratoires constatée depuis 2015 a eu d’indéniables répercussions sur le nombre de demandes d’asile formées sur le territoire français. Entre 2014 et 2019, celles-ci ont en effet plus que doublé, atteignant un niveau historique de 132 826 demandes[1].

Mettant en avant le coût financier de l’asile[2], l’incapacité de l’Etat à accueillir l’intégralité des demandeurs, les difficultés chroniques d’exécution des mesures d’éloignement des déboutés, ou encore le dévoiement d’une procédure qui serait « devenue la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France »[3], un discours critique du droit d’asile et de ses procédures s’est imposé dans le débat public.

La prise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan, survenue au mois d’août dernier, a pris de court bon nombre d’observateurs.

Elle interroge quant à l’imminence d’une nouvelle « crise de l’asile » en Europe et en France, et aux réponses qu’il convient de lui apporter.

Les raisons de penser que ce renversement afghan n’a rien d’anodin sont nombreuses.

 

Un contexte d’asile de masse

Tout d’abord,  car le régime d’Ashraf GHANI se montrait déjà incapable de garantir à tous ses ressortissants la sécurité attendue. Ainsi les ressortissants Afghans constituent-il depuis plusieurs  années déjà  le 1er contingent de demandeurs d’asile en France. Alors que l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) enregistrait une baisse historique de 27 % de ses demandes en 2020, le nombre de demandeurs afghans était le seul à progresser (+ 1,4 %) pour s’établir à 10 166 premières demandes[4].

Ensuite, car en dépit d’une réelle volonté de l’Union européenne d’apporter une réponse collective aux défis migratoires - augmentation des effectifs de Frontex[5], accord Turquie-UE de 2016 - elle se frotte aujourd’hui à plusieurs écueils : effritement de l’alliance avec la Turquie, routes migratoires en recomposition permanente, échec total des projets de relocalisation à l’échelle de l’Union.

Encore, car les effets de ces arrivées massives se voient renforcés par les difficultés structurelles concernant le renvoi des demandeurs déboutés dans les Etats dont ils sont ressortissants : moins de 10 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) étant effectivement exécutées. Si le Président Macron a - opportunément ? - décidé d’agir en restreignant fortement l’octroi de visas aux ressortissants tunisiens, marocains et algériens, dont les Etats rechignent à délivrer les laissez-passer consulaires essentiels à l’exécution des obligations de quitter le territoire français délivrées aux déboutés du droit d’asile, ce haussement de ton est insuffisant.

 

Une inquiétude légitime commandant des mesures fortes

La crise afghane doit être l’occasion de se rappeler que la demande d’asile est progressivement devenue un échappatoire pour les immigrés en situation irrégulière : l’explosion des demandes (132 826 en 2019, contre 57 616 en 2004 et 18 478 en 1976[6]) est inversement proportionnelle aux taux d’admission (23,7 % des demandes acceptées par l’OFPRA en 2019[7], contre plus de 90 % en 1976[8]).

Cette tendance de fond s’est installée, en dépit d’une interprétation plus libérale que jamais des critères de l’asile de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.

La crise afghane vient s’ajouter à une prospective préoccupante - accroissement inévitable des migrants environnementaux[9], explosion de la démographie en Afrique[10] - laquelle doit pousser le législateur à prendre des mesures fortes.

Celles-ci doivent s’articuler autour de deux orientations principales : d’une part circonscrire davantage les demandes d’asile (I), d’autre part, améliorer l’effectivité des expulsions (II).

Quelques propositions :

1/ Circonscrire davantage les demandes d’asile 

·      Favoriser l’externalisation de la demande d’asile

L’asile aux frontières, très largement délaissé au profit des demandes formées sur le territoire français, doit redevenir la solution de principe - si plus de 7 000 décisions ont été rendues à la frontière en 2001, à peine plus de 1 000 l’ont été en 2014[11].

·      Subordonner la demande d’asile au placement du demandeur dans un centre fermé

Permettant de lutter contre les demandes d’asile opportunes, une telle mesure n’aurait rien d’une nouveauté. En effet, le Parlement hongrois a par exemple adopté en mars 2017 une loi autorisant le renvoi automatique de tous les demandeurs d’asile vers les zones de transit pendant toute la durée de leur procédure. L’UE a quant à elle mis en place de nombreux centres fermés d’enregistrement des demandes d’asile en Grèce depuis 2016.

·      Développer les missions foraines

L’OFPRA doit développer les missions ciblées hors les murs sur le territoire français, et à l’étranger en coopération étroite avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

2/ Améliorer l’effectivité des expulsions

·      Multiplier les accords de réadmission entre l’UE et les pays tiers

Face aux difficultés pour obtenir les laissez-passer consulaire - à titre d’exemple, le Maroc n’a délivré sur l’année 2016 que 27,5 % des laissez-passer sollicités par la France dans le temps imparti - , la France doit multiplier les alternatives. Celles-ci passent notamment par des accords de réadmission bilatéraux, mais plus encore par des accords négociés par l’UE, qui dispose de cette compétence.[12]

·      Élargir le domaine d’application du règlement EURODAC

Lancé en 2016, le projet de refonte du règlement EURODAC semble avoir été abandonné. Permettant de recenser efficacement le nombre de demandeurs d’asile sur le sol de l’UE, sa consultation par les autorités répressives doit être facilitée.

[1] OFPRA, Rapport d’activité, 2019, p.20.

[2] Cour des comptes, Relevé d’observations provisoires, L’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile, février 2015. Révélé par le Parisien, ce rapport d’étape chiffrait le coût total de la procédure d’asile pour l’année 2013 à près d’1 milliard d’euros  - auquel s’ajouterait 1 milliard supplémentaire pour couvrir les coûts afférents aux déboutés. En 2013, le budget provisionné dans la loi de Finance pour la mission Immigration, asile et intégration ne s’élevait pourtant qu’à 600 millions d’euros.

[3] Ibid.

[4] OFPRA, Rapport d’activité, 2020, p.12.

[5] L'agence chargée du contrôle des frontières extérieures de l'UE disposera d'ici 2027 d'un contingent permanent de 10 000 gardes-frontières

[6] OFPRA, Evolution du nombre de premières demandes depuis 1973. Disponible sur : https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/l-ofpra-en-chiffres/evolutions-historiques-en-chiffres

[7] OFPRA, Rapport d’activité 2019, p.100.

[8] ALAUX (J.P), « L’asile dans le pot commun de l’immigration », Plein droit 2004/1, n°59-60, p 18-22.

[9] Le HCR estimait en 2015 qu’une personne par seconde est déplacée à cause d’une catastrophe naturelle, et que 22,5 millions de personnes ont été déplacées à cause d’évènements climatiques depuis 2008 (HCR, Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC), 2015.)

[10] Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’Afrique pourrait compter près de 2,5 milliards d’habitants en 2050 et plus de 4 milliards d’habitants en 2100.

[11] OFPRA, « Demander l’asile à la frontière », 20 avril 2016.

[12] L’article 79 du TFUE prévoit que « l’Union peut conclure avec des pays tiers des accords visant la réadmission, dans les pays d’origine ou de provenance, de ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas ou qui ne remplissent plus les conditions d’entrée, de présence ou de séjour sur le territoire de l’un des Etats membres ».