L’ONU célèbre ses 75 ans : quelle Organisation pour demain ?

Tribune co-rédigée par Laura HUCHET et Coline CÉLÉRIER, co-directrices du pôle “Géopolitique” du Cercle Orion.

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“La crise sanitaire est une menace [...] mais également une opportunité [de changement]” a rappelé Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU. A nous, les jeunes générations, de saisir cette opportunité et d’être force de propositions pour dessiner les contours d’un monde plus juste et durable.

Les 75 ans des Nations Unies sont célébrés au moment où l’Organisation est plongée dans une profonde crise d’efficacité et de légitimité, exacerbée par la crise sanitaire. Cible de vives critiques, des solutions doivent être apportées afin de régénérer l’Organisation et plus largement le multilatéralisme qui reste indispensable pour répondre aux nouvelles menaces asymétriques, polymorphes et transnationales du XXIème siècle qu’aucun État ne peut affronter seul.  

Une discussion autour du thème « L’avenir que nous voulons, l’ONU qu’il nous faut : réaffirmons notre attachement collectif au multilatéralisme » s’est tenue lundi 21 septembre 2020 à l’occasion de la commémoration du 75ème anniversaire de l’ONU, réunissant les États membres. Le Secrétaire général Antonio Guterres a d’abord rappelé les accomplissements qui ont été réalisés grâce aux Nations Unies, allant de l’évitement d’un nouveau conflit mondial à l’élaboration de traités de paix en passant par le développement du droit international visant à protéger l’environnement, tout en insistant sur les nombreux défis qu’il reste à résoudre, en commençant par la crise sanitaire actuelle. A cet égard, le président du Conseil de sécurité Abdou Abarry a posé une question cruciale : « le système international issue de la conférence de San Francisco est-il efficace pour assurer la paix et la sécurité conformément à la Charte des Nations Unies ? » 

A l’issue de cette discussion, une déclaration politique a été adoptée, dans laquelle les États membres s’engagent notamment à favoriser les partenariats, à réformer les trois principaux organes de l’ONU, et à assurer le financement durable de l’Organisation. Les recommandations suivantes proposent des actions concrètes afin de mettre en œuvre ces engagements. Elles reprennent celles que nous avons formulées dans le Manifeste pour le Monde d’Après

L’ONU reste l’arène principale pour résoudre les problèmes de notre monde. Il est urgent de relancer le débat des réformes notamment structurelles pour garantir son indépendance, efficacité et légitimité – elles sont ambitieuses, mais inévitables.

Pour une Organisation plus inclusive et démocratique

Face au déficit démocratique de la gouvernance mondiale et notamment de l’ONU, l’inclusion systématique de la société civile et des citoyens au sein des différents organes onusiens est primordiale. 

Rappelons d’abord que les ONG ont un statut consultatif seulement auprès du Conseil Économique et Social des Nations Unies (ECOSOC). Au-delà la nécessité de simplifier le processus d’accréditation pour l’ECOSOC qui est aujourd’hui complexe, long et onéreux, les ONG devraient être systématiquement consultées lors des délibérations et des débats de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité.

Une grande avancée serait la création d’une Assemblée Parlementaire des Nations Unies pour donner une voix aux représentants des citoyens. Elle pourrait disposer d’un rôle consultatif auprès des différents organes décisionnels et avoir la possibilité de proposer des sujets à inclure à l’ordre du jour si leur pertinence est approuvée à la majorité qualifiée par l’Assemblée.  

Une Initiative des Citoyens du Monde des Nations Unies pourrait également être établie. Si un certain nombre de citoyens approuvent une initiative citoyenne, alors l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité devront inscrire le sujet sur leur agenda et offrir la possibilité aux citoyens de défendre leur position et soutenir l’initiative proposée. Un tel mécanisme pourrait permettre à certains sujets d’importance, actuellement bloqués par les États, d’être abordés. 

En somme, ces réformes renforceraient la légitimité de l’ONU mais aussi son efficacité. Leur expertise est essentielle à la qualité des débats et ainsi alimente l’émergence de solutions innovantes pour répondre aux défis globaux. L’expérience de terrain des organisations non-gouvernementales (ONG) et la connaissance des citoyens des réalités locales garantissent que les décisions prises prennent en compte les besoins de la population. La société civile agit également pour l’intérêt général et pourrait à cet égard orienter les discussions afin de contenir les rapports de forces entre les États membres. 

Pour une Organisation plus indépendante et efficace

Il est temps de réfléchir à une réforme du système de financement de l’ONU et de ses agences spécialisées. Son système de financement, qui repose sur des contributions obligatoires et volontaires des États membres, pose plusieurs problèmes. D’abord, le risque des délais de paiement et l’insuffisance des liquidités. Puis, le manque d’indépendance de l’ONU et notamment de ses agences spécialisées alimentées par des contributions volontaires. La stratégie de certains pays vise à accroître leur contribution afin d’asseoir leur influence et peser davantage dans les décisions – comme la Chine a cherché à le faire avec l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

Face aux délais de paiement chroniques et aux finances insuffisantes, les contributions obligatoires des États membres doivent être augmentées, en fonction du barème des quotes-parts, et un mécanisme de sanction doit être mis en place afin de pénaliser tout État ne versant pas sa contribution dans le temps imparti. Plus créatif et ambitieux, pourquoi ne pas diversifier les sources de financement, en créant une taxe pigouvienne sur le commerce international ? L’objectif est double : alimenter l’ONU par des sources fiables et indépendantes car non-gouvernementales, et internaliser les externalités négatives des activités économiques, comme la pollution. La taxe pourrait notamment être appliquée aux hydrocarbures, aux matières premières minérales, aux dépenses militaires et transfert d’armes. Ces sources étant plus fiables et l’assiette étant large, la communauté internationale aura plus de fonds pour répondre aux défis globaux, touchant autant les pays du Nord que du Sud.

Aujourd’hui, en plus de toujours augmenter ses contributions afin d’avoir plus de poids sur la définition des agendas, la Chine est à la tête de quatre des quinze agences spécialisées de l’ONU. La stratégie chinoise consiste à utiliser cette influence comme levier diplomatique dans le but de façonner le contenu des discussions au sein de l’Organisation. C’est pourquoi une autre réforme importante serait la définition d’un quota plus strict des nationalités pour éviter toute collusion politique.

D’autre part, la question de la réforme du Conseil de sécurité doit être remise à l’ordre du jour. Depuis son élargissement à quatre nouveaux membres non permanents en 1965, sa réforme a été abordée à de nombreuses reprises et sous plusieurs angles mais elle a toujours été évincée, faute de consensus. En 2004 par exemple, le groupe de personnalités de haut niveau remettait son rapport concernant la réforme des Nations Unies au Secrétaire général. Dans le cadre de la réforme du Conseil de sécurité, le rapport émettait deux propositions concrètes. Pourtant, aucune réforme ne fut adoptée depuis lors. Bien au contraire, la question continue d’alimenter les débats alors que le Conseil de sécurité montre de plus en plus ses faiblesses. Il faut trouver des solutions alternatives, assez créatives pour réussir là où les autres ont échoué : créer le consensus. Pour cela, un forum de discussion composé d’universitaires, de représentants des régions, États membres, de la société civile et du secteur privé doit être créé afin de relancer les débats.

L’ancien Secrétaire général Kofi Annan l’avait déjà souligné, “la réforme est un processus et non un événement”. L’ONU n’est pas parfaite et nous devons être créatifs afin d’imaginer une structure plus apte à résoudre les défis mondiaux. Les réformes structurelles énoncées ci-dessus, bien que non exhaustives, sont cruciales pour redorer notre maison commune : il s’agit de rendre l’Organisation plus démocratique par une consultation systématique des citoyens et plus efficace par un système de financement plus indépendant ainsi que par un Conseil de sécurité libéré de sa paralysie systémique. Ces réformes ne seront cependant pas suffisantes. Les États doivent faire preuve de volonté politique et de leadership pour apporter une réponse collective aux problèmes qui nous concernent tous. Car lorsque les nations sont désunies, c’est nous qui en sommes les premières victimes.