Guerre en Ukraine : une approche du voisinage européen

Jamais, depuis son indépendance, l'Ukraine n'a eu le droit à autant d'attention de la part des médias internationaux. Loin de sa cantonner à n’être qu’un conflit régional, la guerre en Ukraine nous fait craindre l’émergence d’une troisième guerre mondiale, selon les mots du Président Biden. Certes, la Révolution orange de 2004, ainsi que la révolution pour la dignité de 2013-2014, ont donné une notoriété mondiale à la place Maïdan du centre-ville de Kiev. La prise de la Crimée ainsi que la guerre dans le Donbass avaient connu une intensité forte en 2014-2015. Depuis, le conflit n'avait pas cessé mais était resté de basse intensité suite aux accords de paix de Minsk-2, négociés par Angela Merkel, François Hollande, Vladimir Poutine et Petro Porochenko. Ces accords devaient voir le retour des oblasts de Lougansk et de Donetsk moyennant une autonomie substantielle ainsi que des réformes institutionnelles à Kiev. Ni la Russie, ni l’Ukraine n’ont hélas su mener ce processus à bien. 

Ces accords sont maintenant caducs et nous nous dirigeons vers une reconfiguration régionale profonde. Pour les Européens, c’est l’occasion de repenser plus largement leur politique européenne de voisinage, initiée en 2003-2004 dans la perspective de l’élargissement. 

 

La Russie et le voisinage européen

La Russie ne fait pas partie de la politique européenne de voisinage. En effet, elle n'avait pas souhaité être mise dans le même panier que l'Ukraine, la Moldavie ou la Biélorussie : dès le lancement de cette politique, Moscou entendait être un partenaire de l’Europe plutôt qu’un voisin. Dès lors, Kiev, Chisinau et Minsk ont été au cœur de cette politique, avant d’être rejoint à l’Est par les trois Etats du Caucase Sud (l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie). A la faveur des Etats du Sud de l’Europe (notamment la France, l’Italie, l’Espagne et la Grèce), la politique de voisinage s’est ouverte aux Etats du Maghreb et du Machrek. 

Dans ce concert, la taille et le statut de la Russie en ont fait un partenaire incommode pour les Européens, d’autant qu’un certain nombre d’entre eux se méfiaient de cet Etat continent. L’évolution politique du régime russe a divergé du modèle européen, mais des relations commerciales se sont développées, particulièrement avec l’Allemagne mais pas seulement. Après la guerre en Géorgie (août 2008), puis la guerre en Ukraine (2014-2015), la Russie a fait l’objet d’un certain nombre de sanctions, afin de l’amener à modifier son comportement agressif vis-à-vis des Etats faisant partie de son « étranger proche », selon le concept de politique étrangère russe apparu dans les années 1990. Les sanctions prises à l’occasion de la guerre de 2022 sont sans communes mesure avec les précédentes, et auront un impact de long terme sur les relations entre les Russes et les Européens. Le but politique est d’arriver à une cessation des hostilités en asséchant les bases économiques de l’économie de guerre.

L’Ukraine dans le voisinage européen 

Les relations de proximité entre l'Ukraine et la Russie sont très fortes, et ce à plusieurs niveaux, historiques, culturels, humains ou économiques. Dans le même temps il faut aussi voir que l'Ukraine est un pays voisin de quatre États-membres de l'Union européenne : la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. Il y a également une proximité historique forte avec la Lituanie ainsi qu’avec les autres Etats baltes, l’Estonie et la Lettonie.

Les élargissements de 2004 et 2007 ont donc mécaniquement conduit l’UE à avoir une influence de plus en plus forte sur la politique ukrainienne, à mesure que la demande de démocratie et de développement s’est renforcée. 

L’Ukraine occupe une place à part dans la politique du Partenariat oriental, initiée en 2009. Le Partenariat oriental est le pendant à l’Est de l’Union pour la Méditerranée au Sud : elle regroupe six Etats, l’Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Le but poursuivi est la transformation politique, économique et sociale de ces pays : en d’autres termes, il s’agissait d’exporter la stabilité pour éviter d’importer l’instabilité. Pour les pays d’Europe Centrale et Orientale, il s’agit également de différencier « les voisins de l’Europe » au Sud des « voisins européens » à l’Est, qui pourraient éventuellement intégrer l’Union européenne comme Etat-membre. 

De ce point de vue, il faut observer que l’Ukraine occupait une place essentielle dans le Partenariat oriental, et représentait les 3/5e de la population, de la superficie et des richesses des six Etats concernés. L’onde choc pour les pays du voisinage, au-delà du Partenariat oriental, est donc large.

 

La guerre en Ukraine et le voisinage européen 

La guerre en Ukraine a plusieurs conséquences notables pour l’ensemble des pays du voisinage. 

En premier lieu, la crainte d’un conflit à plus large échelle se fait jour. La Moldavie et la Géorgie sont bien sûr les Etats les plus inquiets de cette perspective. La Moldavie plus particulièrement, dès lors qu'elle se situe dans l’arrière-pays d’Odessa, où le conflit risque de se déplacer, et dans la mesure où elle dispose d’un territoire séparatiste pro-russe sur son sol, la Transnistrie. L’anxiété est donc de mise, même si les autorités de cet Etat neutre font de leur mieux pour rassurer les habitants.

Ensuite, la crise des réfugiés risque de durer, et pourrait concerner plusieurs millions de personnes, peut-être 5 à 7 millions en Europe d’ici la fin de l’année 2022. Elle concerne les Etats européens à proximité de l’Ukraine, mais aussi la Moldavie, qui accueille deux fois plus de réfugiés que les Polonais par rapport à sa population, pour un PIB nominal qui est le quart de celui de la Pologne. Cela ne manquera pas de susciter de grandes difficultés à court terme.

Enfin, et de manière non moins importante pour la stabilité régionale, la question de l'approvisionnement en céréales des pays du Maghreb et du Machrek se pose à court terme. L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient importent plus de 50% de leurs besoins, dont beaucoup de blé et d’orge de Russie et d’Ukraine. Nous risquons de voir des émeutes de la faim dans les prochains jours ou prochaines semaines, favorisant les crispations identitaires et sociales dans des Etats comme l’Egypte où une partie de la population risque de basculer dans l’insécurité alimentaire.